L'éveil
Tout a
commencé en 1954, lorsque je suis arrivé au monde, sous le
nom de Gilles Labatut, dans la région toulousaine, avec une racine
maternelle dans la montagne ariégeoise et une paternelle dans la plaine
narbonnaise. Aucun événement particulier, aucun modèle dans mon
entourage, ne semblent m'avoir poussé à m'intéresser à la nature. Les
prémisses ont eu lieu en 1965 ou 1966, lorsque, avec des camarades,
notre intérêt s'est porté sur les fourmis et leur organisation sociale,
donnant lieu à un aménagement très anthropomorphique de la partie
émergée de fourmillières dans le jardin familial et dénommé
pompeusement Fourmi-City. Très vite, l'intérêt s'est déplacé sur les
papillons, plus attractifs, dès le printemps 1966, pour devenir le
centre de nos activités dès l'année suivante. Les oiseaux ont
aussi retenu notre attention, nous amenant à la lecture de magazines
sur la nature, où les préoccupations de "protection de la nature",
comme on disait à l'époque, se faisaient jour et ont commencé à
éveiller
notre conscience écologique. Celle-ci a débouché en 1970, sur la
création d'un club "Jeunes et Nature", au sein duquel nous avons allié
étude du milieu et militantisme, au moment où les problèmes
d'environnement étaient officiellement reconus par la création du
ministère du même nom, mais où le grand public nous considérait encore
comme de doux rêveurs, voire des ennemis du progrès (un ministre
avait, paraît-il, dit peu avant: "La V° répubique n'a pas besoin de
nature!").
C'est en exposant
au Salon des Arts
Ménagers de Toulouse, cette année là, que d'autres stands nous ont
sensibilisés aux problèmes d'hygiène de vie et d'agriculture
biologique. Personellement, c'est en octobre 1968, que j'ai commencé à
observer et à noter les phénomènes climatologiques et sans doute peu
après, que j'ai pratiqué le jardinage. Je me suis donc de plus en plus
intéressé aux végétaux ornementaux. En outre lorsqu'on s'intéresse aux
animaux,
on est conduit à porter aussi son attention sur les plantes qu'ils
consomment et à devenir plus ou moins botaniste, d'où mon intérêt pour
les plantes sauvages. Peut-être à cause de mes racines
méditerranéennes, j'ai été très tôt attiré par ces régions, leur
climat, leurs paysages et les plantes que l'on y trouve, à l'état
naturel ou cultivé, développant un goût pour les végétaux
xérophiles et les paysages des régions associées (méditerranéennes et
semi-désertiques), qui m'a amené à cultiver préférentiellement
les plantes méditerranéennes, mais aussi celles, plus
exotiques, que ce climat permet d'y cultiver (appelées
abusivement "méditerranéennes" dans le commerce). C'est dans ce cadre que j'ai cultivé mes
premières succulentes en pot extérieur sous un auvent et en pleine
terre.
La passion
Tout
était donc en place pour une vision écologique du monde, prenant
en compte les interrelations des êtres vivants entre eux et avec leur
milieu de vie. Nous nous reconnaissions bien sûr dans le mouvement
nouvellement dit "écologiste", mais nous avons toujours fait la
distinction entre l'écologue (qui étudie la science écologique) et
l'écologiste (qui milite pour la préservation de l'environnement , en
application des découvertes de l'écologie). Malheureusement,
nombre d'écologistes, bien intentionnés mais pas du tout
écologues, ont dérivé vers de faux problèmes, voire vers des formes
d'intégrisme. Il n'empêche que le mouvement dans son ensemble, reste
salutaire, malgré les inévitables dérives que connaissent tous les
mouvements d'opinions. L'aspect "collection" de papillons a donc
progressivement cédé une place prépondérente à l'aspect "étude
scientifique", dans un souci de conservation des espèces. C'est donc au
sein de la mutation très rapide et très profonde de la socité
occidentale à la fin des années 60, que nous nous sommes durablement
façonnés, à un âge où nous y étions pleinement réceptifs.
La concrétisation de tout celà pour moi a été la poursuite
d'études supérieures pour approfondir tout ce que j'avais déjà abordé.
J'ai
donc suivi avec passion un cursus universitaire dans les Sciences de la
Vie et de la Terre: Deugs, maîtrise, DEA d'écologie, ainsi que
des
UV complémentaires correspondant à un an de plus. J'ai bien
mis l'accent sur les aspects écologiques, la botanique, l'aménagement
du milieu naturel et j'ai effectué un maximum de
stages. Je ne me faisais pourtant pas d'illusions sur les débouchés qui
s'offriraient à moi, même si on disait que l'environnement était un
secteur d'avenir. Ma vocation était de faire de la recherche et , après
la période faste des années 60 où le chef de l'état y voyait un
moyen d'assurer le prestige de la France, entre la crise économique et
une autre vision politique, les recrutements étaient en forte baisse
(d'autant plus qu'ils avaient été importants avant), surtout dans
le domaine des sciences naturelles, dont on ne percevait guère
l'intérêt économique. C'est dans le domaine de la biogéographie
botanique (l'étude de la répartition des plantes et de son
déterminisme) que j'ai acquis la compétence la plus ciblée, très loin
des préoccupations des décideurs de l'époque. J'ai constaté que 30 ans
après, malgré de gros progrès, le secteur était toujours prometteur dans l'avenir. 10
ans ont encore passé et, si la péoccupation environnementale est bien
affirmée, les emplois dans la recherche fondamentale et même appliquée
dans le domaine des sciences naturelles, restent marginaux.
Je
suis donc rentré sur titre en 2° année de l'Ecole Nationale
Supérieure Agronomique de Toulouse., afin d'avoir un diplôme
d'ingénieur, négociable
sur le marché du travail. Cela avait été ma première intention au
moment du bac, mais je n'avais pas le niveau suffisant pour être
admis en classes préparatoires aux grandes écoles et je n'aurais non
plus pas eu la force de résister à l'énorme pression que l'on y subit
pour réussir un concours d'entrée dans ces écoles. Par contre,
j'avais largement le niveau pour suivre la formation dans cette école,
où j'ai trouvé les cours bien plus superficiels qu'en faculté. Je
nuance donc beaucoup ce que j'entends sur les qualités respectives de
la formation à l'université et dans les grandes écoles. Mais il faut
aussi distinguer les écoles comme la mienne, des plus prestigieuses,
qui
méritent probablement leur renommée.
L'intérêt de la
complémentarité de ces deux formations pour aider à résoudre les
problèmes d'environnement, toujours plus d'actualité, était évident
pour moi. Je l'ai
encore accentué (j'allais dire "aggravé") en passant le Diplôme
National
d'Oenologue, qui satisfaisait aussi mon intérêt pour le vignoble
languedocien, encore si mal valorisé, où mon grand père avait travaillé
et où je passais une partie de mon temps. J'avais aussi beaucoup
complété ces enseignements par une formation autodidactique théorique
et pratique. Sur certains sujets, c'est d'ailleurs ainsi que j'ai
appris le plus.
La réalité sociale
Je
me suis donc retrouvé sur le
marché de l'emploi en 1980, plein d'enthousiasme pour offrir mes
services dans des domaines variés pour lesquels j'avais beaucoup
d'atouts, à une époque où l'on prétendait encore que les diplômes
garantissaient l'emploi. J'ai donc alterné des périodes de
chômage pas toujours indemnisé avec des petits boulots, dans mes
domaines de compétence ou pas, précaires et mal payés (entre 1 et 1, 5
fois le SMIG), où l'on est toujours considéré comme un débutant,
et parfois dans des conditions illégales de la part d'administrations
(lettre de démission avant la signature du contrat "à durée
indterminée", création
d'entreprise libérale pour effectuer une seule mission pour un
seul employeur). J'ai, entre autres, travaillé dans la valorisation des
déchets organiques par compostage et lombricompostage, mais l'inertie
et le manque d'ouverture d'esprit de nombre de collectivités locales à
lépoque (1982-87), avant les lois qui l'ont ensuite imposé, ne m'a pas
permis de poursuivre dans cette voie. Lors de mes loisirs, j'ai
développé une autre activité qui
intègre les autres: la typologie des paysages, vue avec un oeil de
naturaliste, débouchant sur une photothèque qui reste encore à
valoriser.
Je
me doutais déjà que la polyvalence est plus souvent perçue comme une
incapacité à choisir sa voie ou une manière de retarder l'entrée dans
la vie active et non pas comme un atout, par de nombreux recruteurs
qui n'ont pas la vision globale et l'esprit de synthèse des écologues.
Mais au bout de sept ans, au hasard de rencontres avec des collègues,
j'ai su qu'une grande partie de ceux issus de la même école
avaient
dû se reconvertir après des parcours similaires au mien. Il s'avèrait
que
ceux qui n'ont pas d'emploi stable dans les six mois sont généralement
perçus par les employeurs comme des personnes instables ou "à
problème",
qui ne peuvent pas conserver leur poste. Pendant ce temps, les
spécialistes de l'emploi continuaient de dire aux chômeurs, pardon, aux
"demandeurs d'emploi", pardon, aux "offreurs de service", qu'il ne faut
pas
hésiter à accepter les emplois précaires pour faire ses preuves et
surtout ne pas avoir de trou dans son CV! Il se trouve que
l'enseignement primaire était une opportunité à ce moment là avec des
ratios de l'ordre de 8 candidats pour un poste dans les régions les
plus prisées. Je craignais que les surdiplômés soient écartés, comme
c'était le cas pour de nombreux emplois, mais il se trouvait justement
que nombre d'agronomes, autres ingénieurs, et même des médecins et
pharmaciens se présentaient à ce concours, qu'ils obtenaient
généralement très bien classés. Après avoir estimé que ce pouvait
devenir une vocation secondaire, à défaut de pouvoir réaliser la
première, je me suis lancé à fond dans la préparation au concours que
j'ai obtenu, en effet, dans les premiers classés de l'académie.
La double vie
C'est ainsi que j'ai pu choisir mon département d'affectation, puis mon
logement, en
fonction des critères évoqués sur la page "Jardin" et poursuivre
mes activités naturalistes, agronomiques et autres durant mon temps
libre, tandis que l'enseignement, où j'ai connu du pire au
meilleur, m'apportait aussi beaucoup sur le plan humain (on peut
parfois tirer profit même du pire).
Début
1994, j'ai commencé à planter des espèces communes en Bas-Languedoc et
Roussillon, sans préjuger de leur rusticité chez moi. En 1995, j'ai
commencé à me documenter pour connaître celles susceptibles de l'être et à commander chez les producteurs
français. Au printemps 1996, j'ai vu l'article de "Succulentes" sur
l'expérience de Dominique Jalabert dans les Corbières, qui testait
comme moi la plantation en plein air, mais à une bien plus grande
échelle et de manière bien plus extensive, dans une région plus
favorable. Nous avons rapidement fait connaissance et échangé sur nos
expériences. L'année suivante, j'ai continué à découvrir la palette qui
s'offrait à moi, de plus en plus étoffée et commencé
à semer des espèces que je ne pouvais me procurer en plant. Avec le
développement d'internet, ma
connaissance des expériences similaires s'est
considérablement étendue, renforcée par le rapprochement avec la
nouvelle délégation Extrême-Sud de l'AIAPS en 2004, donnant lieu à de
multiples échanges de plantes et d'informations. Entre temps, mes
végétaux les plus anciens s'étaient bien développés et j'avais accumulé une multitude d'observations.
L'épanouissement tardif
J'ai alors pris conscience de l'intérêt esthétique et scientifique de
cette expérience, et de son originalité, insoupçonnés au départ,
pouvant déboucher sur une reconversion dans la conception
de jardins de plantes succulentes, dans une optique paysagère. Mon
administration m'a bien aidé à assurer cette transition le temps que je
puisse prendre ma retraite de fonctionnaire, de fin 2007 à début 2011,
et me consacrer
désormais aux seules activités librement choisies et
correspondant à ma vocation. Il s'agit bien sûr de l'entreprise
personnelle liée à ce site (de mi 2008 à fin 2020), mais aussi la
valorisation progressive
de tout
ce que j'ai pu faire dans les autres domaines autour de la nature, au
moins en publiant ce qui est ou sera suffisemment achevé.
Conclusion
Cela a été un énorme gachis de former à grands frais des gens comme moi
(nous sommes nombreux) sans être ensuite en mesure de faire profiter la
société de nos compétences pour se retrouver maintenant avec des
problèmes environnementaux considérables alors qu'ils auraient pu être
résolus bien avant, bien plus facilement et à des frais bien moindres
(même en incluant ceux que l'on n'a pas osé engager à l'époque
pour nous rémunérer). La prise de
conscience continue de s'approfondir, même au niveau politique, mais
c'est toujours très laborieux de la concrétiser suffisamment dans
les faits. Globalement, on continue à vouloir réaliser la "transtion
écologique" sans remettre en cause un fonctionnement économique qui est
totalement incompatible avec elle. Il est déjà bien tard, mais
plus il est tard, plus on
est forcé de réagir (c'est un des mécanismes de régulation des systèmes
vivants), mais aussi plus on "y laisse de plumes". Espérons que
l'humanité saura se préserver assez "de plumes" pour
survivre dans de bonnes conditions.